HISTOIRE de la TURQUIE

Après la Première Guerre mondiale, la défaite de l’Empire ottoman a plongé la Turquie dans le chaos, encore aggravé par les conditions très dures de l’armistice de Moúdhros (octobre 1918): capitulation de l’armée, démilitarisation des Détroits, perte des provinces arabes, occupation de points stratégiques par les troupes alliées. Quelques mois plus tard, l’armée grecque débarque à Izmir avant que les Alliés n’imposent au sultan le traité de Sèvres (août 1920). Celui-ci consacre le démembrement de la Turquie en instituant des zones contrôlées par les grandes puissances et en créant une Arménie indépendante et un Kurdistan autonome. 

La naissance de la Turquie moderne 

La sévérité des sanctions provoque un sursaut au sein de la population. Des meetings de protestation se tiennent à Istanbul, tandis que des associations patriotiques se multiplient en Thrace et en Anatolie. Débarqué à Samsun en mai 1919, Mustafa Kemal va prendre en main l’organisation de la résistance. Rassemblant les débris de l’armée ottomane en Anatolie, mobilisant toutes les forces économiques et sociales, il parvient, depuis Ankara où il a installé son quartier général, à faire front. Il repousse les Arméniens à l’est et contient les Français en Cilicie. Une série de victoires (Inönü, Sakarya) permet de briser l’élan des armées grecques qui avaient envahi l’Anatolie occidentale. Celles-ci sont définitivement chassées à la suite de la prise d’Izmir en septembre 1922. En deux ans, le territoire turc a été libéré. La victoire est due à la volonté d’un homme, à la mobilisation d’une nation, à l’aide apportée par la Russie bolchevique et, aussi, à la division des puissances européennes face à la poursuite de la guerre en Orient.

La République kémaliste à l’école de l’Occident

Après d’âpres négociations avec les puissances alliées, la Turquie, au traité de Lausanne (juillet 1923), obtient l’annulation des dispositions prises à Sèvres. L’indépendance, la souveraineté et les frontières du nouvel État sont reconnues. Les capitulations sont supprimées. Il se produit un échange de populations avec la Grèce. La paix conclue, Mustafa Kemal renforce son autorité et met fin à la monarchie ottomane en supprimant l’institution du sultanat. Il fonde son propre parti, devenu Parti républicain du peuple (PRP), instaure la République, dont il devient le premier président, et fixe la capitale à Ankara, double symbole d’une rupture avec le passé et du recentrage sur l’Anatolie. Quelques mois plus tard, en mars 1924, il abolit le califat, ce qui a pour effet de distendre les liens entre la Turquie et le monde islamique. Maître du pays, il se lance dans une série de réformes audacieuses: suppression des écoles et des tribunaux religieux, dissolution des confréries islamiques, interdiction du port du fez, émancipation de la femme. Il fait adopter une nouvelle législation inspirée de divers codes européens.

En 1928, les lettres arabes sont abandonnées au profit de l’alphabet latin. L’adoption de ces mesures radicales suscite des critiques et provoque des mouvements de résistance. Dans l’Est du pays, une révolte conduite par un cheikh kurde est durement réprimée au printemps de 1925. La presse est soumise à une censure stricte, tandis que des purges permettent de se débarrasser des derniers éléments du mouvement des Jeunes-Turcs et des communistes: dès la fin des années 1920, les oppositions sont étouffées. Après la crise de 1929, l’heure est à l’étatisme: inspiré par l’expérience soviétique, un premier plan quinquennal vise à doter le pays d’une industrie lourde. Les «maisons du peuple», organes culturels du parti unique, recouvrent le pays, avec pour mission d’éduquer et de diffuser dans les petites villes et les campagnes les idéaux de la révolution kémaliste. Une version «officielle» de l’histoire, qui fait des Hittites les ancêtres des Turcs, est échafaudée afin d’enraciner la conscience nationale en Anatolie. Quant à la langue turque, elle est épurée des termes arabes et persans. 

La succession d’Atatürk et le multipartisme 

Devenu président de la République après la mort d’Atatürk, en 1938, Ismet Inönü doit faire face à la montée des périls internationaux. À la suite de longues tractations, la France cède à la Turquie le sandjak d’Alexandrette (1939). Courtisée par les deux camps, la Turquie reste neutre pendant le second conflit mondial – elle déclare la guerre à l’Allemagne en février 1945. Au lendemain des hostilités, Ankara doit faire face à une grave menace: Staline remet en cause la souveraineté turque sur les Détroits (Bosphore, Dardanelles) et émet des revendications territoriales sur les provinces orientales de la Turquie. Mais les Turcs résistent à ces pressions, et, renonçant à leur neutralité, amorcent un rapprochement avec l’Occident. Ankara signe la Charte des Nations unies, adhère à la «doctrine Truman» (1947), reconnaît Israël, est admis au Conseil de l’Europe et envoie un contingent en Corée. Peu après, la Turquie est intégrée à l’OTAN avec la Grèce. En même temps qu’elle se tourne vers l’Occident, la Turquie s’oriente vers le multipartisme. Un certain nombre de députés du PRP font sécession et fondent, en 1946, le Parti démocrate, de tendance plus libérale. À la surprise générale, les démocrates remportent une large victoire aux élections de 1950, et Adnan Menderes devient Premier ministre. On assiste à un tournant dans l’évolution du pays: la bureaucratie kémaliste doit désormais partager le pouvoir avec une bourgeoisie d’affaires, les grands commerçants et les gros propriétaires, tandis que l’importance de l’électorat paysan incite les démocrates à faire des concessions sur le plan religieux. Le développement de l’économie est rapide. Le pays s’ouvre aux capitaux étrangers, et la mécanisation de l’agriculture est accélérée. En matière de politique étrangère, les démocrates s’efforcent d’organiser la défense du mouvement des non-alignés. Au bout de quelques années, les excès du gouvernement démocrate, la dérive vers un pouvoir personnel et les menaces qui pèsent sur la laïcité finissent par susciter une forte opposition. En 1960, soutenue par les étudiants et les universitaires, l’armée se décide à intervenir. 

Pouvoir civil et pouvoir militaire

Le coup d’État militaire de 1960 inaugure une série d’interventions de l’armée dans la vie politique turque. Les leaders du Parti démocrate sont traduits en justice; trois d’entre eux sont exécutés, dont Adnan Menderes. Une Constitution plus libérale, qui, pour la première fois, reconnaît le droit de grève, est promulguée en 1961. Héritier du Parti démocrate, le parti de la Justice accède au pouvoir aux élections de 1965, avec Süleyman Demirel comme Premier ministre. Tandis que l’économie connaît une phase de croissance, le syndicalisme se développe et les mouvements de gauche se renforcent. En 1971, l’armée intervient à nouveau dans la vie politique, cette fois sans prendre le pouvoir. Les militaires font pression sur le pouvoir civil, obtiennent la démission de Demirel et la mise en place d’un pouvoir d’exception. La loi martiale est établie, et la répression s’abat sur les mouvements de gauche et les intellectuels. Malgré la normalisation amorcée en 1973, la classe politique est impuissante à enrayer la montée des radicalismes. Les affrontements sanglants entre extrémistes de droite et de gauche se multiplient. Les islamistes agissent ouvertement contre la laïcité. À la confusion politique, également nourrie par le mouvement kurde, s’ajoute une grave crise économique, liée surtout aux problèmes pétroliers. À la fin des années 1970, la Turquie semble prête à basculer dans le chaos, situation qui pousse l’armée, en septembre 1980, à s’emparer directement du pouvoir. Survenant un an et demi après la révolution iranienne, ce coup d’État est accueilli avec soulagement par les puissances occidentales, notamment les États-Unis. Le général Kenan Evren, qui devient chef de l’État, suspend la Constitution, dissout les partis politiques, interdit les formations syndicales, pourchasse les groupes extrémistes et censure la presse: l’ordre public est restauré aux dépens des libertés démocratiques. Le régime militaire promulgue une nouvelle Constitution, soumise à référendum en 1982, mais ne peut empêcher un civil, Turgut Özal, fondateur du parti de la Mère Patrie (ANAP), de remporter les élections de 1983. Pendant dix ans, la vie politique est marquée par la personnalité de Turgut Özal. Musulman sincère, technocrate formé aux États-Unis, il est d?abord Premier ministre avant de devenir président de la République de 1989 jusqu’à sa mort, en 1993. Partisan du libéralisme, il supprime le contrôle des changes, lance un programme de privatisations, renforce les relations économiques avec les pays du Moyen-Orient, notamment l’Iran et l’Iraq, en guerre depuis 1981. L’économie se redresse de manière spectaculaire. Toutefois, l’inflation reste forte (autour de 60 %), les écarts sociaux se creusent et les scandales se multiplient. L’islamisme progresse jusque dans les hautes sphères de l’État. Sur le plan extérieur, Ankara mène une diplomatie active en s’efforçant de restaurer l’image du pays et en posant la candidature de la Turquie à l’entrée dans la Communauté européenne, en 1987 (celle-ci ne sera admise officiellement par l’Union qu’en décembre 1999 au Sommet d’Helsinki). Alliée fidèle des États-Unis, la Turquie prend position contre Saddam Hussein et autorise l’usage de ses bases aériennes pendant la guerre du Golfe. En 1993, Süleyman Demirel est élu à la présidence de la République. Le poste de Premier ministre, pour la première fois en Turquie, échoit à une femme, Tansu Ciller. Dans un environnement géopolitique instable, celle-ci doit s’efforcer de trouver une solution aux problèmes économiques, à la question kurde et à la montée des islamistes: le 8 juillet 1996, Necmettin Erlsakan, chef du Refah, le parti fondamentaliste, devient Premier ministre. En juin 1997, ce dernier remet sa démission au président S. Demirel en espérant que sa partenaire conservatrice Tansu Ciller lui succédera. Contre toute attente, M. Demirel qui souhaitait rassembler une coalition laïque écartant les islamistes du pouvoir, a nommé le leader de l’opposition Mesut Yilmaz, à la tête du nouveau gouvernement, mettant ainsi fin à la pression des militaires qui menaçaient de faire tomber celui de N. Erbakan. En 1999, Bülent Ecevit le remplace à la direction du gouvernement. Le 5 mai 2000, Ahmet Necdet Sezer est élu à la présidence du pays, qui doit cependant faire face à une importante crise économique.