LEONID BREJNEV

 Il exerce le pouvoir sur l’Union soviétique de 1964 à 1982, mais d’abord en association avec d’autres. Il est secrétaire général du parti communiste de 1964 à 1982, et est deux fois président du praesidium du Soviet suprême (chef de l’État), de 1960 à 1964 et de 1977 à 1982.

Leonid Brejnev (parfois orthographié Brezhnev) naquit à Kamenskoye (de nos jours Dneprodzerzhinsk), en Ukraine, fils d’un métallurgiste russe. Comme de très nombreux jeunes prolétaires aux temps de la révolution russe il reçoit une éducation technique, en gestion du territoire puis en métallurgie. Il devînt en 1923 membre de l’organisation de la jeunesse du parti communiste, le Komsomol, puis intègra le Parti lui-même en 1931.
 
En 1935-36 il fait son service militaire obligatoire. D’abord engagé dans un corps de blindés il suit des cours sur les chars d’assaut avant de servir finalement comme commissaire politique. Suite à cela, il devient directeur du collège technique de métallurgie de Dneprodzerzhinsk (à franciser). Il est rapidement transféré au centre régional de Dniepropetrovsk et en 1939 il devient secrétaire du Parti, en charge des industries lourdes de la défense.
 
Il fait partie de la première génération de Soviétiques qui ne connurent pas la période ayant précédé la révolution russe et mêmes trop jeunes pour avoir vraiment participé aux luttes pour la succession de Lénine au poste de chef du parti en 1924. Au moment où il entre au Parti, Joseph Staline était déjà le maître incontesté ; Brejnev, comme beaucoup d’autres jeunes communistes d’alors, grandit et accepte le stalinisme sans trop se poser de questions. Ceux qui survécurent aux grandes purges de 1937-39 obtinrent des promotions rapides, puisque ces éliminations ouvraient de nombreux postes dans les niveaux haut et moyen du parti et de l’État.
 
En juin 1941 l’Allemagne nazie envahit l’Union Soviétique et Brejnev participe à l’évacuation des industries de Dniepropetrovsk vers l’est, avant que la ville ne tombe entre les mains des nazis, le 23 août. Comme la plupart des membres du parti de rang moyen il est enrôlé dans l’Armée rouge comme commissaire politique. En effet, l’Armée rouge suivait le principe du double commandement : toutes les formations militaires étaient sous les ordres d’un officier professionnel et d’un commissaire politique. Cette organisation était inefficace et détestée par les officiers. En octobre Brejnev devient délégué de l’administration politique pour le front sud, avec le rang de commissaire de brigade.
 
En 1942, alors que l’Ukraine est envahie, Brejnev est envoyé dans le Caucase comme délégué de l’administration. En avril 1943 il devient chef du département politique de la 18e armée. La même année, cette armée monte au front en Ukraine pour soutenir l’Armée rouge qui venait de prendre l’initiative de foncer à l’ouest à travers l’Ukraine. Le commandant en chef de cette ligne de front est Nikita Khrouchtchev, qui devient rapidement un fervent « supporter » de Brejnev. À la fin de la guerre, Brejnev occupe le poste de commissaire politique du 4e front ukrainien qui entre à Prague après la capitulation allemande.
 
En août 1946 il quitte l’Armée rouge avec le rang de major général. Il vient de passer la totalité de la guerre comme commissaire et non comme militaire. Après avoir participé aux projets de reconstruction de l’Ukraine il devient premier secrétaire à Dniepropetrovsk. En 1950 il devient délégué du soviet suprême, le parlement fantoche aux mains de Staline. La même année, il est nommé premier secrétaire du parti en Moldavie, territoire roumain incorporé à l’Union soviétique une première fois en 1940 puis définitivement en 1944. En 1952 il devient membre du comité central et se présente comme candidat pour le praesidium (auparavant nommé Politburo).
 
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Brejnev et Khrouchtchev
 
Staline meurt en mars 1953 et la réorganisation qui suivit abolit le praesidium pour reconstituer un politburo plus réduit. Bien que Brejnev ne soit pas membre du politburo, il est nommé chef du directoire politique de l’armée et de la marine, au grade de lieutenant-général, une place très importante. Cette promotion est probablement due au nouveau pouvoir de son mentor Khrouchtchev qui succède à Staline comme secrétaire général du Parti. En 1955 il est fait premier secrétaire du parti au Kazakhstan, un poste stratégique.
 
En février 1956 Brejnev est appelé à Moscou pour contrôler l’industrie de la défense. Avec le programme spatial, l’industrie lourde est la construction principale du pays. Il est désormais un personnage clé et en juin 1957 il soutient Khrouchtchev dans sa lutte contre la vieille garde menée par Viatcheslav Molotov, Gueorgui Malenkov et Lazare Kaganovitch pour la direction du parti. La défaite de ces derniers lui ouvre les portes du politburo.
 
En 1959 Brejnev devient secrétaire en second du comité central et en mai 1960 obtient le titre de président du praesidium du soviet suprême c’est-à-dire de chef de l’État. Ce poste ne conférait pas de vrais pouvoir mais permettait d’aller à l’étranger ce qui développe chez Brejnev un goût pour les objets de luxe occidentaux.
 
Jusque vers 1962 la place de Khrouchtchev comme chef du parti est solide mais ses performances n’étant plus satisfaisantes, il commence à inquiéter ses pairs. La montée des difficultés économiques de l’Union Soviétique augmenta la pression. En apparence, Brejnev demeure ostensiblement loyal mais en 1963 il est impliqué dans un complot ourdi par Anastase Mikoyan, avec pour but de remplacer le Khrouchtchev. Cette année là il succède à Frol Kozlov, comme secrétaire du comité central, et devient par ce poste le successeur officiel de Khrouchtchev. Le 14 octobre 1964 alors que Khrouchtchev est en vacances, les conspirateurs frappent et lui font perdre son poste. Brejnev devient premier secrétaire du parti, Alexeï Kossyguine premier ministre et Mikoyan chef de l’État (en 1965 Mikoyan prit sa retraite et fut remplacé par Nikolaï Podgorny.)
 
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Chef du parti
 
Pendant les années Khrouchtchev il avait approuvé la dénonciation de la dictature de Staline, la réhabilitation des victimes des purges et la libéralisation limitée de la politique soviétique intellectuelle et politique. Mais dès qu’il devint le meneur il commença à inverser ce processus. Dans un discours en mai 1965 commémorant le vingtième anniversaire de la défaite de l’Allemagne, Brejnev mentionne Staline d’une manière positive pour la première fois. En avril 1966 il prit le titre de secrétaire général, qui avait été le titre du petit père des peuples. Le procès des écrivains Youri Daniel et Andrei Sinyavsky en 1966 marqua le changement vers une politique culturelle répressive. Sous Youri Andropov la police politique (le KGB) retrouva la plus grande partie du pouvoir dont elle avait joui sous Staline, cependant sans les excès les plus terribles.
 
La première crise du régime de Brejnev vint en 1968 avec la tentative par les dirigeants communistes en Tchécoslovaquie, sous Alexander Dubček, de libéraliser le système (voir le printemps de Prague). En juillet Brejnev critiqua publiquement ces hommes comme étant « révisionnistes » et « anti-Soviet, » et en août il orchestra l’invasion du pays par le pacte de Varsovie et le remplacement de Dubček. L’invasion fut critiquée par des manifestations publiques dans l’Union soviétique. Brejnev affirma que l’Union Soviétique avait le droit d’intervenir dans les affaires internes de ses satellites pour la « sauvegarde du socialisme » comme elle l’avait déjà fait en 1956 en Hongrie par exemple.
 
Sous Brejnev les relations avec la Chine continuèrent à se détériorer suivant la cassure du début des années 1960. En 1965 le premier ministre chinois Tchou Enlaï visita Moscou pour des discussions, mais il n’y eut pas de résolution du conflit. En 1969 les troupes soviétiques et chinoises s’affrontèrent sporadiquement sur la frontière de la rivière Oussouri. Brejnev aussi continua à soutenir le Nord Viêt Nam dans la guerre du Viêt Nam.
 
Le dégel des relations sino-américaines au début de 1971 cependant marqua une nouvelle phase dans les relations internationales. Pour éviter la formation d’une alliance anti-soviétique entre les États-Unis d’Amérique et la Chine, Brejnev ouvrit un nouveau round de négociations avec les E.U. d’A. En mai 1972 le président Richard Nixon visite Moscou, et les deux dirigeants signent le traité traité de limitation des armes stratégiques (TLAS I) marquant le début de l’ère de la détente. Les accords de paix de Paris de janvier 1973 terminent officiellement la guerre du Viêt Nam, retirant un obstacle important dans les relations avec les É.U. d’A.
 
Signature par Léonid Brejnev et Jimmy Carter des accords SALT II le 18 juin 1979 à VienneLe zénith de la détente de cette période fut la signature de l’acte final d’Helsinki en 1975 qui entérine les frontières de l’après guerre en Europe de l’est et centrale et de ce fait légitimise l’hégémonie soviétique sur cette région. En échange l’Union soviétique accepte que les États participants respectent les Droits de l’Homme et les libertés fondamentales y compris celles de pensée, conscience, religion ou croyance, tout cela sans distinction de race, sexe, langage ou religion. Mais ces principes ne furent jamais appliqués et l’opposition politique au processus de la détente montait en occident malgré la rhétorique optimiste à propos de la détente, qui ne correspondait pas à une libéralisation interne dans l’Union soviétique et ses satellites. Le problème de l’émigration des juifs soviétiques devint une source d’irritation croissante qui ne put être aplanie lors de la rencontre entre Brejnev et le président Gerald Ford à Vladivostok en novembre 1974.
 
Dans les années 1970 l’Union Soviétique atteint le maximum de son pouvoir politique et stratégique avec le scandale du Watergate, sous l’amiral Sergei Gorshkov l’Union Soviétique devint un pouvoir naval mondial pour la première fois et par le truchement de Cuba intervint y compris militairement en Afrique.
 
Pendant ce temps Brejnev consolide sa position interne. En mai 1976 il se nomma lui-même maréchal et en juin 1977 il oblige Podgorny à prendre sa retraite et devient à nouveau président. Le 18 juin 1979 à Vienne, il signe, aux côtés de Jimmy Carter, les accords SALT II concernant le désarmement des États-Unis et de l’Union soviétique.
 
En 1981, il aurait commandité la tentative d’assassinat du pape Jean-Paul II selon une commission d’enquête italienne.
 
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Crise du régime
 
Cependant le pouvoir soviétique sur le plan international et celui de Brejnev en politique intérieure dépendent de l’économie de l’Union soviétique, or celle-ci reste stagnante et montre même des signes de déclin. Il y a deux raisons fondamentales. D’abord le retard de l’agriculture, malgré l’industrialisation lourde, qui n’obtient que des rendements médiocres au point qu’il faut importer du blé.
 
Le deuxième obstacle, le plus grave, était l’impossibilité d’une modernisation dans une économie dirigée par l’État jusqu’aux niveaux les plus modestes, ce qui supprimait la plus grande partie des incitations du marché pour l’amélioration de l’efficacité et le service aux clients. Les améliorations des conditions de vie étaient repoussées jusqu’au grand soir et pas au jour le jour, ce qui démotivaient la population.
 
Ces facteurs combinés se renforçaient les uns les autres à travers les années 1970. Les énormes dépenses pour les forces armées et dans une moindre mesure pour le programme spatial faisaient négliger les besoins de base comme l’habitat. L’importance grandissante de l’économie informelle ( on utilisait l’euphémisme "l’économie de l’ombre", en fait le marché noir) était une sorte de réponse, mais elle entraînait une corruption généralisée. Le goût personnel de Brejnev pour les voitures en est une illustration.
 
Les dernières années de son règne furent marqués par un culte de la personnalité omniprésent atteignant un sommet pour son soixante-dixième anniversaire en décembre 1976. Cette propagande qui ne pouvait plus s’appuyer sur la terreur était incapable de commander respect ou peur et la population la méprisait. Brejnev s’intéresse surtout aux questions internationales en laissant les questions internes à ses subordonnés. Parmi ceux-ci, le reponsable de l’agriculture, Mikhaïl Gorbatchev, devint de plus en plus convaincu qu’une réforme fondamentale était nécessaire. Sans que se tramât aucun complot mais la santé du vieux chef déclinait.
 
Le dernier acte, l’héritage qui serait fatal à ses successeurs, fut la décision en décembre 1979 d’intervenir en Afghanistan, où un régime communiste impopulaire avait de grandes difficultés à garder le pouvoir. Cela arrêta brusquement la détente allant même jusqu’à un embargo par les É.U. d’A. et la fourniture d’armements aux rebelles talibans. En mars 1982 Brejnev souffrit une crise cardiaque. Son pouvoir n’était plus que fantomatique et il mourut en novembre.
 
Son règne sur l’URSS fut le second par sa durée, mais sa réputation posthume est catastrophique, aussi bien dans le peuple que chez les historiens. Il a bloqué toute évolution et a mal estimé la volonté de ses adversaires dans certaines aventures militaires. On juge sévèrement sa vanité et son acharnement à gaspiller l’argent dans des objets de luxe inutiles. À sa décharge on peut rappeler que l’Union soviétique atteignit un niveau record de puissance, qu’il était un négociateur habile et que les problèmes étaient inhérents au système.